samedi 27 août 2011

Séminaires pour l'année à venir

L’année dernière vous avez été nombreux à me solliciter pour des séminaires, malheureusement, je n’ai répondu favorablement qu’a 5 clubs, j’en suis vraiment désolé mais entre recherche, enseignement et ingénierie j’ai un emploi du temps très chargé.

Pour l’année à venir je dois me rendre plusieurs fois en Russie afin d’étudier les comportements violents et les confrontations entre bandes. Lorsque l’on étudie le combat de rue et les comportements des agresseurs et des combattants qui officient dans le milieu, il faut être sur place au plus prêt de l’affrontement. Je l’ai déjà dit mais la rue n’a rien à voir avec une salle de sport ou un dojo, il est donc important de prendre en compte l’environnement, le contexte social de l’affrontement etc. Cette façon de procéder( recherche action en langage scientifique) est difficile et longue, je vais donc avoir encore moins de temps pour les séminaires cette année.

Pourtant j’aime bien cet échange avec les gens, cela me change de mes étudiants et cela m’apporte beaucoup. En conséquence n’hésitez pas à me contacter, même si cela risque de prendre du temps avant que j’intervienne.

Mes séminaires sont toujours gratuits, si je me déplace vous payez mon transport. Pour les demandes en région parisienne, je vous encourage à venir à l’université, cela ne vous coutera rien du tout.( enfin sauf vos déplacements)

Pour répondre aux nombreux mails que je revois sur la parution du tome 2 de l’anthropologie du combat, je suis en mesure de vous dire qu’il paraitra certainement en 2012, j’en suis à plus de 500 pages et je dois y ajouter le résultat de mes recherches sur l’entrainement, et plus particulièrement sur l’entrainement dit réaliste en scénario et mise en situation. J’ai encore besoin de plusieurs mois pour terminer une expérimentation là-dessus. Bref encore du boulot quoi !

Mail à l’université : jean-luc.guinot@u-paris10.fr

Mail perso : jlguinot@yahoo.fr

dimanche 27 février 2011


Le samedi 29 janvier dernier j’ai été invité à Clermont Ferrand au club de Krav Maga afin de donner un cours d’anthropologie du combat, le matin a été consacré à la théorie avec, entre autre, l’étude du système nerveux et des mécanismes du combat défensif de survie, la prédation humaine…. et l’après midi à la pratique.
J e garde un très bon souvenir de cette merveilleuse journée, entouré par des gens d’une très grande gentillesse et d’une ouverture d’esprit remarquable. Il émane du groupe un esprit de famille qui réchauffe le cœur, et vous met de suite à l’aise.
L’humanisme et l’hospitalité des auvergnats n’est pas une légende, merci à eux.


http://www.kravmaga-clermont-ferrand.fr

dimanche 15 août 2010

"Une manipulation mentale est, une action orchestrée par un individu ou un groupe d'individus, visant à prendre le contrôle de l'esprit et du comportement d'une personne ou d'un groupe. Lors de nos recherches sur l'agression et sur les capacités dont nous disposons pour y faire face, nous sommes bien obligés de remarquer qu'il existe toutes sortes de mythes entourant le sujet et que les manipulations mentales vont bon train.
La plupart des méthodes de combat, qu'elles soient arts martiaux, de self défenses, ou sports, ont leurs maîtres, experts, champions, disciples, elles reproduisent à merveille le schéma de notre société de consommation avec son système hiérarchique.
Le système hiérarchique établi ne vise pas l'épanouissement de l'individu, il ne sert qu'à établir une dominance paternaliste de type psycho familiale envers les grades inférieurs et de l'infantilisme à l'égard de ceux, gradés, ou maîtres, que l'on considère comme supérieurs. Certaines écoles, certains styles, mais en général, tous ceux qui veulent adhérer aux règles émises par la société, doivent se conformer à des critères d'organisation et de hiérarchie draconiennes calquées sur les organisations de type militaire, policier …. . D'autres organisations, ont choisi un fonctionnement de type religieux ou sectaire, le gourou, le grand maître, ou le « sensei » règnent alors, sans partage sur ses disciples. Quel que soit le mode de fonctionnement de ses structures, elles ont en commun et ne doivent leur solidité, qu'au fait que l'on inculque à tous les membres du système : et quel que soit son grade et son niveau dans la hiérarchie, qu'il fait partie d'une sorte d'élite, différente par ses techniques et ses méthodes de combats à toutes les autres. Le mensonge est certain, mais la gratification obtenue par le pratiquant est tellement grande, qu'il y adhère totalement. La tenue, l'esprit de groupe, les rites, les coutumes ancestrales véritables ou inventées, font adhérer le pratiquant à cette soi-disant élite et du coup, lui font accepter son aliénation totale au système, sans vraiment se poser de questions
. "


extrait du livre - Anthropologie du combat - Thebookedition
http://www.thebookedition.com/jean-luc-guinot-anthropologie-du-combat-p-32290.html


Afin de compléter nos propos sur les mythes, il convient de remarquer combien la science détournée ou adaptée à la situation peut-être utile aux dominants à la tête des organisations chargées de vendre les produits des systèmes de combats ( arts martiaux, sports de combats et self défense). En effet nous voyons arriver depuis quelques années des vidéos réalisées par des organismes scientifiques et des universités, surtout anglo-saxonnes, sur les systèmes de combat. L’objectif des programmes scientifiques est de démontrer, par exemple, la puissance de frappe d’une technique ou l’impact dévastateur d’un système.

Les techniques servant aux accidents routiers lors des krachs tests servent de base de travail, le principe est souvent le même, prenez un champion connu pour son esprit guerrier, pour sa combativité dans une discipline martiale, faite lui réaliser des mouvements de combats à pleine puissance dans un mannequin ou un sac truffé de capteurs le tout relié à un ordinateur qui mesure la puissance d’impact . Aussitôt s’affichent des résultats impressionnants, avec des commentaires qui bien souvent évoquent avec graviter la puissance destructrice du système de combat analysé.

Certes, les résultats sont réels et souvent impressionnants, mais dans l’esprit des plus jeunes, bien souvent cela est de nature à faire croire en la supériorité d’une méthode sur une autre, ainsi nous apprenons que les techniques de jambes de la boxe thai sont plus puissantes que celles du karaté etc. Rien de mal me direz-vous, en effet, il n’y a rien de mal à faire étalage de faits scientifiques, sauf à faire croire qu’ils constituent la réalité.

Les tests en question ne sont pas plus utiles au combat que le sont les épreuves de casses de briques, de pains de glace et autres planches, ils ne prouvent rien, sauf que le champion frappe fort sur une cible immobile, qui ne riposte et n’anticipe pas. La réalité de deux adversaires s’affrontant rituellement sur un ring est autre chose de bien plus complexe, sans parler bien entendu de la réalité de la rue sans aucune règle, sans arbitre et sans pitié.

Les marchants d’illusions disposent de moyens financiers importants pour faire effectuer les tests scientifiques, il est évident qu’ils ne reculeront devant rien pour continuer à jouir des revenus confortables qu’apportent les systèmes de combats.






samedi 27 mars 2010

ETUDE SUR LE COMBAT ET LES JEUNES

Vous trouverez ci-joint sur mon blog un article sur un travail remarquable de la part d’enseignants en activités physiques et sportives du CAS Centre des Activités Sportives de Roubaix et d’enseignants chercheurs de l’université de Lille 2 . Le travail de mes collègues est à mon sens très important et riche d’enseignement concernant une catégorie de la population composée de jeunes gens en rupture sociale, qui rejettent les clubs et autres structures capables de les accueillir. Le combat libre a été choisi par les enseignants pour les raisons que vous découvrirez dans l’article, je pense que les résultats seraient les mêmes en boxe thai ou en rugby. Nous avons en effet, connu de résultats similaires en invitant certains jeunes de cités à jouer à « la soule » mélange de foot et de rugby avec quelques règles. La violence supposée de cette pratique y fit adhérer une jeunesse en mal de reconnaissance, voulant prouver son « esprit guerrier » dans une pratique violente et rarissime ; en réalité les règles établies et les protections firent qu’il n’ y eu que des blessures mineurs, mais chacune d’elle était portée , supportée et montrée avec fierté.
L’objectif des collègues de Lille 2 et de Roubaix est de structurer socialement des individus dont souvent le seul moyen d’expression est la violence. Il semble que certains y cherche un « moyen de défense » dans un environnement d’insécurité. Par ailleurs il faut être prudent sur les réponses apportées aux chercheurs par les jeunes notamment, lors d’événements non vérifiables , en effet nous avons souvent constatés que la pratique d’une activité considérée comme violente favorisait nettement « l’imagination » des pratiquants, les voyants s’attribuer des actions pour le moins étonnantes qui n’ échapperont pourtant pas à l’éducateur expérimenté.
Nous reviendrons en détail dans un prochain article sur le rapport au corps ( confiance en soi et physique) sur les jeunes violents, cet aspect est abordé en fin article.

JLG


Le combat libre : quel(s) effet(s) sur les jeunes ?

par Béatrice Carnel, FSSEP, Lille2, laboratoire Education et Intervention
Vincent Masschelein, Centre d'Activités Sportives de Roubaix (CAS)
Olivier Boutoille, Centre d'Activités Sportives de Roubaix (CAS)



Thème : International Journal on Violence and School, n°5, Avril 2008


Le Centre d’Activités Sportives de Roubaix propose des pratiques sportives dites « à risque » pour favoriser l’insertion de jeunes en difficulté. Cet article tente de restituer l’utilisation paradoxale du combat libre comme outil de formation, en particulier sur le contrôle des émotions et sur l’apprentissage des éléments suivants : code du fair-play, respect de l’adversaire, règles de vie en groupe, régularité. Il présente les débuts d’une démarche d’évaluation de ces actions à l’aide d’un questionnaire.


Introduction

Le Centre d’Activités Sportives de Roubaix propose depuis une trentaine d’années des pratiques sportives dites « à risque », ceci dans le but d’insérer des jeunes en difficulté. Nous restituerons l’utilisation paradoxale du combat libre comme outil de formation, en particulier sur le contrôle des émotions, sur l’apprentissage des éléments suivants: code du fair-play, respect de l’adversaire, règles de vie en groupe, régularité. Nous rendrons également compte d’une proposition d’évaluation des effets de ces pratiques. Pour décrire cette démarche nous nous attacherons à respecter une chronologie réelle, celle de la pratique, première venue, de ses usages avant de proposer un outil, second dans l’ordre des choses, visant à rationaliser les effets de ceux-ci sur le public visé. Dans ce cadre la théorie emboîte le pas à la pratique.
Dans un premier point nous restituerons ce que fut l’activité du centre d’Activités Sportives de Roubaix (CAS), fondé par Y. Sihrener, la méthode pédagogique initiée dans ses différents sites, les rituels mis en place. Dans un second point, nous tenterons de rationaliser cette démarche d’intervention et la méthode de construction d’un questionnaire d’évaluation dont nous présenterons les ébauches.

Le Centre d’Activités Sportives de Roubaix
L’histoire du CAS

La création du CAS remonte à 1976. Impulsée par Yves Sihrener, l’idée d’utiliser les Sports de Combat pour canaliser la violence des jeunes était fortement contestée à l’époque. S’intéresser plutôt aux effets que pouvaient apporter ces pratiques, a vite amené le fondateur de l’association à défendre la notion d’outil et de support sportif à visée éducative. Association reconnue d’Intérêt Général et agréée Jeunesse et Sports, le Centre d’Activités Sportives, mène des actions préventives par l’utilisation des sports de combat. Parti de la MJC de Mons en Baroeul, le CAS s’est ensuite implanté dans la ville de Roubaix. Puis d’autres centres virent le jour dans la région lilloise. L’originalité des activités sportives proposées sur le site de Roubaix réside dans le fait qu’elles constituent un moyen privilégié permettant d’entrer en relation avec les jeunes difficiles. Elles ne visent pas des finalités de pratiques sportives en elles mêmes. En effet, l’association n’est affiliée à aucune fédération sportive, elle assure plutôt une mission de tremplin vers les clubs (Masschelein, 2006). Aussi, le projet du centre vise l’inclusion sociale de garçons âgés de 15 à 25 ans par la pratique de sports à risque : l’escalade et les sports de combat. Participer à l’éducation des jeunes, participer à la prévention des conduites à risque, à la lutte contre l’exclusion et contribuer à l’amélioration du climat dans les quartiers et dans le monde scolaire tels sont les objectifs affichés.
Le CAS a ainsi pu développer une méthode spécifique, la pratique sportive ne suffisant pas, à elle seule, à modifier des comportements à risque (Pfister. R, Sabatier. C, 1998), l’accompagnement éducatif est déterminant. Le moniteur doit non seulement être capable de mettre en place des situations pédagogiques, en traitant des aspects didactiques de la pratique mais aussi d’adopter une attitude enseignante éducative.

Spécificités de la méthode utilisée

Construite au fil du temps et de l’expérience, la méthode utilisée par les moniteurs du CAS procède des éléments suivants.

Aller chercher les jeunes

La première spécificité, concerne d’abord le travail sur le terrain. Les animateurs vont chercher les jeunes dans les quartiers. Il ne s’agit pas d’une « médiation », mais plus d’une approche de « recrutement », une prise de contact avec le public ciblé. Le fait de chercher à drainer et accrocher un public en marge des structures normatives, vers une pratique régulière et constructive des Sports de Combat, nous a amenés à soulever deux points importants : l’un lié aux attentes du public et l’autre aux modes de fonctionnement :
- prendre en compte les réalités des demandes et des attentes (motivations pour les pratiques de combat, fascination du mythe des combattants, exigences physiques,…), mais également satisfaire un besoin d’écoute, d’attention et de reconnaissance, pas forcément exprimé dans les échanges relationnels,
- développer des aménagements pédagogiques innovants autour de la pratique des Sports de Combat : la structuration des entraînements permettant de travailler sur les repères et les règles de fonctionnement du groupe.

Lieu et type d’entraînement : un local volontairement « marginal », ambiance et atmosphère…

Pour atteindre des jeunes en rupture sociale, rejetant les structures normatives (clubs sportifs, centres sociaux), la démarche a été d’inventer un type d’approche différent touchant à l’imaginaire, apportant une dimension mystérieuse, inquiétante, voire magique. Sur le secteur de Douai, des activités ont pu démarrer dans une ancienne friche abandonnée, où les jeunes faisaient le guet pour surveiller les entraînements « illégaux »... Bien entendu, la municipalité et la police averties de nos fonctionnements jouaient le jeu afin de rendre plus crédible notre action. La deuxième étape a consisté à leur faire prendre conscience de l’intérêt de se mobiliser pour solliciter un local « légal » pour maintenir l’activité. Le groupe a pu obtenir un local désaffecté et le réaménager par lui-même. Devenues sources de fierté, l’ensemble des réalisations s’enracine dans l’histoire du C.A.S., laissant des traces pour les nouveaux. Ainsi se tissent des liens, une histoire entre les jeunes et les lieux de fonctionnement, lieux de vie partagés et respectés où chacun approuve les règles communes.
L’entraînement démarre par un cercle, où les nouveaux participants sont présentés. Se déroulent ensuite l’échauffement (relativement physique) et le corps de séance. Un retour au calme permet d’atténuer les tensions, le cercle final clôt le travail par un bilan de la séance et la communication des informations. L’entraînement est rigide, engagé physiquement, le moniteur « référent » affirme avec fermeté son autorité (non son autoritarisme). La rigueur des entraînements concerne autant les participants que les moniteurs.

Les rituels et les codes du groupe

La démarche se réfère à une méthode dite « clanique », qui définit les codes régissant les règles de fonctionnement du groupe. Créant un sentiment d’appartenance, les rituels et les codes offrent une mise en acte des traditions et des valeurs (respect, rigueur, solidarité). Les repères identifiés permettent une forme de socialisation. Des processus d’identification aux membres du groupe s’activent aussi. Cet espace et ce microcosme social vont renforcer un sentiment de sécurisation, non négligeable à la prévention de la violence.
Le début et la fin des entraînement se font en cercle : celui-ci détermine un espace-temps commun pour débuter et terminer chaque séance. La position : attitude mains dans le dos, jambes légèrement écartées est un rite institutionnel adopté par chacun quel que soit son statut. Par la poignée de main, les membres du groupe se saisissent les avants bras de façon sincère et énergique. L’entrée au C.A.S. se fait par parrainage: le « parrain », est chargé de faciliter et d’accompagner l’intégration du nouvel adhérent au sein du groupe et le responsabilise. Chacun dispose d’un statut hiérarchique affiché rendu visible par les tee-shirts. Ceci facilite les repères pour les jeunes et permet de situer clairement les étapes d’intégration. Le « nouveau » a un tee-shirt bleu, tant qu’il n’a pas réussi les « tests d’entrée », alors il aura un tee-shirt blanc. Les « moniteurs » et les « anciens » portent du noir. Leur niveau de responsabilités les amène à diriger et à mener des groupes. Ils ont un rôle fondamental dans les processus de modélisation auprès des jeunes. Ce sont des éléments acteurs de la structuration du groupe dans l’esprit du CAS. Les tests, rite d’intronisation obligatoire, signent l’entrée définitive dans le groupe. Ils consistent à mesurer les progrès physiques et l’engagement psychologique des participants sous la forme de rencontres en combat debout et au sol. Ces épreuves volontairement mystérieuses, restent un véritable enjeu pour les jeunes qui doivent gagner l’accès à un nouveau statut. Cela permet également de renforcer le phénomène d’appartenance, de les positionner dans un défi sur eux-mêmes et les faire accéder à un sentiment de réussite.

Des effets observés à une forme d’évaluation complémentaire

Une évaluation de terrain

En ayant touché plus de 8000 jeunes, (Sihrener, 2007), les moniteurs et cadres de l’association ont pu en mesurer de visu les effets. Certains sont devenus moniteurs ou initiateurs sportifs, d’autres ont connu des insertions professionnelles diverses dans le privé ou la fonction publique. Au-delà des anecdotes personnelles, des critères d’évaluation simples rendent compte du suivi et du développement des jeunes. Le simple fait de participer régulièrement aux activités sportives pendant une période minimale de 3 mois est le premier élément objectif d’appréciation d’un effet positif. Il existe d’autres critères comme : la fréquentation des activités, la régularité aux entraînements, le suivi des participants et la mise en place d’un rapport d’activités trimestriel. Au-delà de ces effets notables, il nous semblait qu’il manquait une dimension celle des acteurs eux-mêmes : comment ressentaient-ils sur eux-mêmes les effets des pratiques de combat libre. Dès lors naquit l’idée d’élaborer un autre type d’instrument d’objectivation de la transformation des conduites des jeunes dont nous présentons ici les premiers pas.

Un cadre d’analyse reconstruit a posteriori

Cette démarche résulte d’une collaboration « praticiens – chercheurs » entre le CAS de Roubaix et le laboratoire éducation et intervention (LEI) de Lille2. Elle procède d’une recherche d’évaluation des pratiques et se veut plus visée d’intervention (analyse et réinvestissement dans les pratiques) que démarche sociologisante de description des faits sociaux. La construction du cadre de référence est empruntée à la psychosociologie et à la sociologie interactionniste prenant en compte le point de vue des acteurs in situ. Les individus sont victimes et auteurs de violence. Ce rapport à la violence et aux coups reçus ou échangés va constituer un arrière plan cognitif et culturel : les représentations. Celles-ci sont influencées (Carra, 2006) par les films ou les vidéos, par les formes de civilités de l’environnement social. Il est d’usage chez les éducateurs sportifs de s’appuyer sur ces représentations afin de les transformer. L’utilisation de vocabulaire spécifique (le terme d’assaut remplace celui de combat), l’introduction de règles de sécurité «ne pas frapper à la tête … », ou encore le respect des rites des sports de combat sont censés réduire les conduites agressives tout en canalisant les énergies (fonction catharsis attribuée à la pratique sportive). Le sport offre donc la mise en scène d’un rapport original à la loi, celle du jeu, de la compétition réglées par des rites et des codes (Queval, 2004). Les éducateurs sportifs, les enseignants d’éducation physique s’emparent de cet objet, affirment et montrent tel René Acquaviva (Cf. L’esquive film de Patrice Rolet sur la Boxe éducative en EPS) que la confrontation aux règles sportives va rendre les élèves plus responsables, moins violents et plus « citoyens ». Les travaux de nos collègues P. A Méard et S. Bertone (98) ont prouvé dès la fin dès années 90, la contribution de l’éducation physique à ces finalités au travers du rapport à la règle, quelle qu’elle soit, qu’elle met en jeu (les règles des jeux sportifs, règles de l’apprentissage, règles de sécurité, règles groupales ou règles institutionnelles). Le fait de modifier le rapport de l’individu à un seul type de ces règles (attribution de sens) modifierait le rapport à toutes. Cela permet à l’individu de les intérioriser, de passer d’un stade de l’anomie ou de l’hétéronomie à un stade d’autorégulation voire d’autonomie. Le rôle de l’éducateur, de l’enseignant dans les transactions avec le public apparaît donc comme déterminant pour influer sur les représentations par rapport au contrôle de soi, à la violence Les publics fréquentant le CAS sont des individus en mal être et en souffrance, dont l’agressivité reste le seul moyen d’expression. Souvent sans repères, ils sont fascinés par les nouvelles pratiques de combat sans les connaître véritablement. L’une de leurs motivations premières pour pratiquer le combat libre est la recherche d’un moyen de défense « efficace » dans un climat d’insécurité permanent (Masschelein, id). A ces êtres sans repères, la confrontation aux règles codifiées de l’affrontement, aux règles de l’entraînement et de l’hygiène sportive, aux règles de fonctionnement constitue autant d’occasions offertes de construire du sens. Qui plus est, les ateliers de paroles vont leur apporter une forme de considération et d’écoute dont ils ont besoin (Sihrener, id). Le cadre permet également d’échanger avec des adultes et de construire du lien social. Cette forme d’intégration nous renvoie à une forme de socialisation (Duret, 2001) par l’intériorisation des normes, des règles par les jeunes, l’autorité et le savoir restant l’apanage de l’entraîneur. La pratique du Combat libre permet donc de répondre aux déficits de réglementation, d’interdiction, de filiation et d’intégration.

Un outil en voie d’élaboration

Progressivement, par une pratique régulière et un accompagnement éducatif, les comportements et les représentations des jeunes sont modifiés pour trouver un équilibre personnel et social. Nous présentons ici les éléments de construction d’un outil d’évaluation visant à rendre compte des effets de la pratique et de l’évolution des représentations des pratiquants sur l’ensemble des sites

Finalités

Les objectifs consistent à assurer un suivi plus précis des derniers arrivants dans le groupe, tout en aidant à peaufiner les critères d’évaluation par rapport aux indicateurs suivants (motivation, santé, contrôle des émotions, sécurité, respect des règles).
Le premier volet quantitatif consiste en un questionnaire, qui devrait être généralisable à l’ensemble de la population fréquentant les activités du CAS dans différentes villes du département. La difficulté est pour nous de parvenir à obtenir des informations vraies, sans perturber, par un questionnaire trop ardu et trop direct une population en difficulté au plan de l’écriture, ni de la faire fuir par des entretiens par trop « inquisiteurs ».

Aussi le second volet de cette démarche d’évaluation, sera certes qualitatif, mais ne consistera pas en entretiens à visée d’approfondissement mais plutôt en une analyse du contenu des suivis des rencontres du Vendredi réalisés par les moniteurs sportifs lors des suivis hebdomadaires. L’observation s’attachera plus particulièrement à suivre l’évolution des derniers arrivants dans le groupe. Basée sur des traces écrites (carnet de bord du moniteur sportif), proche des démarches ethnologiques par rapport à l’expérience professionnelle de l’éducateur. En effet celui –ci tient un carnet de bord journalier rendant compte de son travail, de son vécu et de son ressenti par rapport aux rencontres et aux nouveaux membres du groupe.

Le Questionnaire

Le questionnaire vise à une meilleure connaissance du public, et à évaluer les effets de l’entraînement sur les aspects suivants: les conduites à risques (différentes addictions), les attitudes (persévérance, goût de l’effort, assiduité), les valeurs (respect des autres, de soi) ; la gestion de la santé physique (hygiène, rapport au corps). Il se découpe en cinq thèmes : la rencontre avec la structure, les motifs de la pratique, le règlement, (connaissance et adhésion), l’entraînement (effets sur soi), les relations à l’environnement social.

Premiers éléments

Dans ce passage nous développerons les réponses obtenues avec un premier groupe pratiquant le Combat Libre (passé en février 2007). Ils n’auront certes qu’une valeur indicative – la population testée étant trop faible pour mettre en évidence des liaisons entre différentes variables – mais devrait permettre de dégager quelques tendances et d’affiner l’outil en lui même avant la passation finale. Dans ce premier dépouillement, il nous est apparu pertinent de proposer une étude comparée des réponses en fonction de l’ancienneté du temps de pratique (moins et plus de six mois) et des indicateurs tels que la connaissance et le rapport à la règle, l’hygiène de vie. En effet, ce choix est justifié par le critère de la sortie (considérée comme positive du dispositif) au-delà de trois mois de fréquentation » dans ce type d’action.

Le public et ses motivations

Le public

Trente et une personnes ont répondu à ce questionnaire préliminaire. Vingt-cinq sont des tee-shirts bleus. Treize sont des nouveaux (moins de trois mois de fréquentation), douze ont entre six mois et un an de pratique. La classe d’âge moyenne se situe dans la tranche des 15 – 16ans (13/19) pour les derniers venus, ils sont encore scolarisés (3ème - 2nde) mais trois accusent un retard scolaire. La moitié du groupe habite dans la ville de Roubaix, cependant aucun des tee-shirts blancs (anciens) ne demeure dans cette localité. Les nouveaux vivent plus dans le cadre de familles mono parentales (surtout avec la mère). Le niveau socioprofessionnel déclaré des parents se situe plutôt dans les professions intermédiaires, employés et ouvriers.

La rencontre avec le combat libre et les motivations pour pratiquer

C’est surtout par un parrain (20/31) que l’on vient au Combat libre. Le parrainage semble remplir ses fonctions car la majorité des néo pratiquants (16/25) déclarent avoir amené quelqu’un (intégration par un pair).
Sur les trois premiers motifs de fréquentation déclarés, les nouveaux avancent comme première raison le fait de venir pour se défouler avant d’apprendre de nouvelles choses, puis se défendre. Chez les plus anciens c’est d’abord pour apprendre que l’on vient puis pour se défendre avant se défouler. En effet ce qu’ils aiment le plus dans le combat, c’est le combat en lui-même, le fait d’apprendre des techniques de combat. Ils aiment « le corps à corps », le « contact » ou frapper : « donner des coups, en recevoir ».
Au niveau du climat relationnel l’entente entre les membres du groupe est plutôt « très bonne » (29/31) et le groupe (29/31) semble plutôt bien s’entendre avec le moniteur
Au niveau du climat d’apprentissage les proportions sont identiques : 20/31 déclarent préférer s’entraîner avec des tee-shirts bleus et des tee-shirts blanc pour des raisons liés aux bénéfices escomptés : apprendre des nouvelles choses avec les blancs et les mettre en application avec des partenaires de même niveau, « Car les tee-shirts blancs ont plus d'expérience et ce que j'apprends avec eux, je peux le tester sur les bleus qui sont de mon niveau » ; mais cela peut servir également à les aider: « Avec le bleus on peut leur mettre plus aisément en pratique et leur apprendre et augmenter le niveau » . Ainsi la pratique rituelle des jeux sportifs réglés produit un dépassement de la rivalité interpersonnelle, l’abandon de l’idée « (…) que l’on va gagner du terrain si l’adversaire en perd, on peut entrer dans la fertilité nouvelle des jeux gagnant - gagnant où l’on partage un bien commun en l’accroissant pour soi et pour l’autre. » (Martinez, 2005, 61)

Le rapport à la règle

Les rites avec leurs interdits et leurs contraintes permettent l’émergence du sujet et de la personne. Nous avons abordé la question des rites à travers le rapport à la règle.
Nous avons questionné les jeunes sur deux dimensions du rapport à la règle : la connaissance et l’adhésion aux règles ainsi que sur la sanction et le rappel en cas de manquement. Nous avons distingué les règles de fonctionnement du groupe des règles sportives du Combat libre. Toutefois la différence n’apparaît pas très nettement pour eux. Le respect de l’autre ressort comme étant une règle de fonctionnement. Toutefois les réponses se ressemblent quand il s’agit d’énoncer une règle pour le combat libre: la notion de respect de l’adversaire se superpose avec celle de l’interdiction de la frapper à certains endroits du corps.

Les règles de fonctionnement

La majorité des néo pratiquants et des pratiquant déclarent « bien ou très bien connaître » les règles de fonctionnement (29/31).
Nous leur avons demandé de citer au moins une règle essentielle pour eux : la notion de respect domine (10 citations) : « Le respect entre nous toute la salle », de même la position : main dans le dos ou en garde avec les gants (8 citations). Trois ont déjà été sanctionnés, dont deux nouveaux pour un manquement au règlement (retard) mais reconnaissent le bien fondé de la sanction sur leur comportement.

Les règles du Combat libre

La majorité des néo pratiquants (15/19) et des anciens (8/12) déclarent « bien ou très bien connaître » les règles de la pratique : 30/31 citent au moins une règle du Combat libre. Les coups interdits sur les parties fragiles du corps « Aucun coup à la tête ni de coups dans les parties génitales » arrivent à égalité avec le respect (9 citations) : le respect de l’autre, le respect de l’adversaire sans trop savoir s’il s’agit d’un respect global ou comme le dit ce jeune « on n’est pas là pour casser les autres ». L’adhésion est forte : 27/31.

Le respect des règles et le rappel à la règle

Les avis sont légèrement plus nuancés pour le respect des règles lors de l’entraînement : 5/31 dont trois nouveaux déclarent les respecter de temps en temps. Si on est toujours respectueux des règles, on veille scrupuleusement à faire appliquer les règles par les autres, ainsi 9/19 des néo pratiquants déclarent avoir rappelé à l’ordre quelqu’un, tout comme 10/12 des plus anciens. Ce rappel à l’ordre portait sur la garde ou la position : « Oublier de saluer son adversaire » - « oublie souvent la position » - « parle de trop. Le pratiquant doit rester impassible, le sourire est assimilé à une forme de provocation : « Il parle, sourit ». Seize membres du groupe reconnaissent également un manquement dont dix parmi ceux ayant le moins d’ancienneté sur des motifs identiques: non écoute, position etc. L’effet d’une autorité véritable, favorise une émergence du processus éducatif, voire co-éducatif en légitimant une discipline faite de rites. La discipline est respectée (aveu de non respect mais aussi déclaration d’adhésion et souci de rappeler l’autre à respecter la loi) y compris à travers l’application d’une sanction effective à l’égard du manquement à la loi, les sanctionnés eux-mêmes étant d’accord avec la sanction, ceci marque la participation sociale au groupe avec la ratification de ses valeurs (Martinez, id).

Les effets sur soi de la pratique

Sur la perception d’un changement d’attitude sur soi
L’auto évaluation nécessite une prise de distance critique ou tout simplement le vécu de la pratique n’était-il pas suffisant important pour percevoir et /ou produire un effet notable ? Seules neuf personnes détectent un changement positif d’attitude (dont six nouveaux). Les effets exprimés portent sur le comportement plus calme : « J'ai appris à ne pas me battre avec n'importe qui » et plus confiant : « Ma manière de combattre et je me sens moins énervé ».

Sur les conduites à risque

Le rapport aux conduites licites et illicites
La question était délicate à poser dans un questionnaire mais incontournable pour évaluer les effets de la fréquentation du centre et de l’entraînement.
Sur la consommation de tabac (27/31) et d’alcool (24/31) disent qu’ils ne fument ni ne boivent ; un seul déclare boire moins et un autre affirme que cela ne change rien. Pour d’autres substances (28/31) se déclarent non consommateurs. Toutefois ces résultats sur l’abstinence déclarée peut-être induite par des pratiques culturelles et/ou religieuses liées à l’environnement social et géographique local.

L’agressivité et la violence

A la question « Cette année, t'es-t-il arrivé de te faire agresser (verbalement et/ou physiquement » : trois nouveaux et quatre des plus anciens répondent « Oui ». A la question portant sur le fait d’être soi même auteur de violences, cinq nouveaux déclarent avoir agressé quelqu’un. Le plus souvent il s’agit de jeunes rencontrés dans la rue: « Des mecs que j'aime pas ». Pour la majorité ils disent n’en parler à personne. Ils ne se reconnaissent pas « agresseurs », mais racontent leurs violences dans la réponse à une autre question. L’insécurité et l’univers de la bagarre sont présents, souvent pour le manque de respect « j'étais au lycée et un mec m'emmerder car je pratiquais. Je lui ai cassé le nez », mais aussi pour se défendre : « ils m'ont tapé, je les ai tapés ».

Sur les effets de l’entraînement sportif et la confiance

En ce qui concerne la persévérance, 30/31 déclarent faire « souvent » et « toujours » : des efforts, écouter les consignes, tenir physiquement et de manière constante l’entraînement. 5/31 déclarent avoir « maigri ». L’image du corps semble avoir changé : 20/31 se sentent plus « musclés », encore plus pour chez les débutants (13/19).

Du point de vue de l’hygiène sportive, ils sont plus nombreux (18/31) à oublier de prendre leur bouteille d’eau qu’à l’amener (chaque pratiquant doit avoir une bouteille pour l’entraînement). Par contre en début de séance, ils sont une majorité à s’échauffer tout en discutant, une minorité (quatre personnes) attend qu’on les prenne en charge. A la fin de l’entraînement, ils sont autant à rester à discuter avec l’entraîneur (12) qu’à rentrer au vestiaire (11), ceci n’étant pas incompatible avec le fait de s’étirer (9). A la question te sens tu : « plus fort depuis que tu viens au combat libre ? », 22/31 disent « Oui », dont 14 nouveaux, 5/31 déclarent le contraire dont 3 pratiquants avérés ; 24/31 déclarent se sentir plus sûrs d’eux, dont quinze nouveaux. Cependant les nouveaux sont plus nombreux que les anciens (14/19 contre 7/12) à déclarer mieux contrôler leurs émotions, à être plus calmes.

Conclusion


Etant au début d’un projet de recherche, nous avons bien conscience du côté parcellaire et descriptif des quelques données présentées et de l’absence de conclusion sur laquelle nous débouchons immanquablement. Néanmoins elles nous confortent dans les éléments d’appréciation pour mieux évaluer les effets des pratiques sportives de Combat Libre sur l’apprentissage du code du fair play, le respect de l’adversaire et des règles du groupe. Toutefois les effets sur soi semblent moins marquer les esprits des jeunes, notamment sur la santé, l’estime de soi, bien que les règles de l’hygiène sportive semblent assimilées. Toutefois la collecte de ces données, restreintes à un questionnaire, est à compléter. Comme nous l’avons cité en introduction de la démarche, celles-ci doivent être confrontées à une analyse de contenus des carnets des moniteurs. Si les premiers éléments de réponses au questionnaire corroborent les observations du responsable du groupe testé, s’agit-il d’un effet boomerang lié à la construction du questionnaire ? Les items sont tirés des faits perçus sur le terrain. Au-delà des améliorations de forme de certaines questions ceci nous amène à poser la pertinence et de la validité de la validité de l’instrumentation pour évaluer les effets. Avant de généraliser le questionnaire à d’autres groupes, une rencontre pour discuter des faits observés avec les responsables s’avère nécessaire avant de déboucher sur un projet de recherche. La procédure d’enquête pourrait gagner en profondeur en y incluant le point de vue des anciens sortis du dispositif au travers d’entretiens, de même pour les moniteurs. Ceci nous permettrait encore plus de rentrer dans une perspective d’évaluation des effets de l’intervention du point de vue des dispositifs pédagogiques et didactiques.



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Bibliographie

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mardi 26 mai 2009

Combat rituel entre deux garçons, le jeune homme au maillot noir va frapper la mâchoire de son adversaire ( à 9 sec) et le sonner , après quelques coups supplémentaires il va opérer un retrait du combat ( attitude typiquement rituel ) , ensuite il fait un retour au combat ( 16 sec ) avec l'idée d'en finir , nous pouvons facilement deviner l'intention d' un coup de pied au visage de son adversaire , pour autant il ne s'exécute pas il semble retenu ….... Cette attitude s'explique par une inhibition à blesser un membre de sa propre espèce , cette attitude commune aux mammifères est une garantie de la préservation de notre espèce , elle est innée et renforcée ensuite par l'acquit de notre socio-culture. Le combat rituel est l'acceptation par les deux adversaires d' un affrontement pour voir le plus fort ( le dominant ) la censure mentale empêche le plus souvent un combat mortel ( sauf accident ) . Les sports de combats et « arts martiaux » enseignent le combat rituel et renforcent par des règles de compétition l'inhibition à blesser gravement un adversaire.

Combat rituel entre filles, même remarque que pour les garçons, après une première décharge de catécholamine (adrénaline , noradrénaline , dopamine) lors de l'affrontement , la situation va revenir à la normale après constatation d' une force égale. Le combat rituel est de plus en plus fréquent chez les femmes, sans doute afin de « singer » les garçons et d'affirmer sa personnalité dans un monde masculin à la norme masculine. Il est heureux, pour la santé des jeunes femmes qu’elles copies également les méthodes et rituels de combats des garçons qui la plupart du temps sont inefficaces, les femmes utilisant plus facilement le cerveau reptilien et la partie droite du néo-cortex , elles possèdent des attitudes insoupçonnées en combat de survie de nature à entrainer des combats très violents. Le risque de voir un combat rituel passer en combat de survie est bien plus important chez les femmes que chez les hommes, avec des graves conséquences pour les deux combattantes.

lundi 25 mai 2009

Article d'un anthropologue sur la boxe thai

la boxe thai est une discipline de combat rituel redoutable, l'article ci dessous est de Stéphane Rennesson , anthropologue et pratiquant , l'article est très intèressant notamment le parallèle entre la religion et le combat .

l'article est paru sur le site : http://www.eurasie.net/webzine/

Entretien avec Stéphane Rennesson, anthropologue
« Boxer, c’est être un bon bouddhiste »
vendredi 18 juin 2004 par Emmanuel Deslouis

A tous ceux qui pensent que la boxe thaïlandaise (muay thai) n’est qu’un sport de brutes, l’anthropologue Stéphane Rennesson va faire changer d’avis...un peu. Il nous livre les découvertes auxquelles l’ont mené ses recherches sur les rapports entre bouddhisme et boxe. Eclairage sur un sport somme toute mal connu.

Eurasie : Pourquoi avez-vous choisi la boxe thaïlandaise comme sujet d’étude ?

Stéphane Rennesson : Jusqu’à présent, les commentateurs de la Thaïlande ont presque toujours éludé la violence présente sous de nombreuses formes dans la société locale.

Après avoir passé trois ans en Thaïlande, j’ai été stupéfait de l’engouement pour la boxe thaï, violente, au moins en apparence. La problématique de ma thèse s’appuie sur ce faux paradoxe : un sport violent dans un pays bouddhiste, donc à priori non-violent. J’ai assisté à des combats hors de Bangkok : les gens montrent une incroyable frénésie. Une manifestation extrême de sentiments qui contraste avec leur comportement en société : les Thaïs ont plutôt tendance à éviter les confrontations et à ne pas trop manifester leurs sentiments.

Eurasie : L’esprit bouddhiste et la pratique de la boxe thaï sont vraiment conciliables ?

Stéphane Rennesson : Absolument ! Le principe de la boxe thaï n’est pas seulement de détruire son adversaire, contrairement à ce qu’on pourrait croire. Le combat doit être aussi l’occasion pour le boxeur d’acquérir, de montrer et de mettre en pratique ses valeurs morales. Ainsi le bouddhisme theravada apporte des idées de contrôle de soi qui s’accordent bien avec la pratique du boxeur. En résumé, boxer c’est aussi être un bon bouddhiste. Il faut éviter de montrer ses émotions : douleur, fatigue, agressivité, haine, vengeance...des critères primordiaux aux yeux des arbitres. On dit de quelqu’un qui parle ou se comporte mal qu’il « a un cœur chaud » (jai ron). A l’inverse, le boxeur doit conserver un « cœur froid » (jai yen). La boxe thaï participe de cet effort pour faire fleurir le bouddhisme.

Eurasie : Sans perdre de vue l’aspect moral, quel est donc le but du combat ?

Stéphane Rennesson : Pour prendre l’avantage, le combattant doit faire perdre la « forme » à son adversaire. Ce qu’on appelle la « face » (la fierté, l’honneur, le respect) dans la vie courante, on appelle ça la « forme » sur le ring. Conserver la « forme » (raksa rup) et la faire perdre à l’autre. C’est la base de la boxe thaï.

Eurasie : Qu’est-ce que perdre la « forme » ?

Stéphane Rennesson : Montrer ses faiblesses. Si un boxeur fait tomber l’autre, c’est la preuve que ce dernier n’a plus la force de tenir. La boxe thaï est autant un sport d’attente et de réponse que d’attaque.

Eurasie : Comment cette tactique est mise en pratique ?

Stéphane Rennesson : La posture idéale du boxeur, celui qui veut être sûr de garder la « forme », est de se tenir le plus verticalement possible, dans la position idéale d’attaque comme de défense, qui offrent le plus grand choix possible de stratégies. Si un boxeur adopte une position « tordue », non seulement il ne peut réagir aussi vite qu’il voudrait mais en plus ses muscles et ses tendons sont détendus. Une posture de faiblesse qu’attend l’adversaire pour taper. A cet instant, il est sûr de l’efficacité de ses coups. Et donc d’affaiblir l’autre boxeur.

Eurasie : Comment se planifie cette offensive ?

Stéphane Rennesson : Le boxeur commence par donner des coups de pied bas (low kicks) pour « percer le pneu » (jen yan), autrement dit pour saper le capital physique du combattant. Entendons-nous bien ! Il cherche à affaiblir, pas à mettre forcément son adversaire K.O. Et puis, les spectateurs thaïs sont tellement friands de paris qu’ils préfèrent que le plaisir dure ! Par ailleurs, les Thaïlandais rappellent cette rareté des K.O. pour se faire mousser aux yeux des occidentaux : « Nous sommes de bons bouddhistes, nous ne cherchons pas le K.O., nous faisons preuve de compassion »

Eurasie : Comment la violence est-elle légitimée ?

Stéphane Rennesson : Tout d’abord par une série d’interdits qui sont les règles. Le boxeur apprend d’abord qu’il ne doit pas mettre de coups de tête, pas mordre, pas frapper à terre, pas taper les parties génitales. Il ne peut pas utiliser de prises de judo, il peut seulement saisir au-dessus de la taille, s’il veut jeter son adversaire au sol. Cette règle vise à démarquer la boxe thaï des autres arts martiaux. Tout ce qui se passe sur un ring ne pose aucun problème : moralement, la boxe thaï n’est pas violente car les boxeurs sont des gentlemen !

Eurasie : C’est à dire ?

Stéphane Rennesson : Ils ne se considèrent pas comme des pugilistes de rue ou de vulgaires gangsters. Ils pratiquent respectueusement un art de défense nationale (sinlapa pongkantua haeng chat). La pratique de la boxe thaï s’apparente à un acte à la connotation nationaliste importante. En effet, elle est considérée comme un héritage national (moradok). La légitimation de sa violence utilise les mêmes ficelles que celle de la défense de la nation.

Eurasie : On a du mal à voir le rapport entre boxe et défense nationale.

Stéphane Rennesson : Au contraire ! Dans les ouvrages scolaires, on rabâche aux jeunes Thaïs que les fondateurs du royaume étaient férus de boxe thaï. Les héros de la boxe thaï sont tous soit des rois soit des guerriers à leur solde qui ont bouté les Birmans hors de Thaïlande : Nai Khanom Tom, Phra Jao Seua, Phya Phijai Daphak... Ces personnages illustres sont attachés à la défense du territoire national.

Eurasie : Cet aspect subsiste encore aujourd’hui ?

Stéphane Rennesson : Oui. Notamment durant le rituel qui précède le combat. Le boxeur rend hommage à son maître (wai kru) avant d’effectuer une danse (ram wai). Cet hommage s’étend au maître de son maître, etc. Mais aussi à ses parents, à ses aînés et par extension au roi. Donc boxer, c’est se placer dans un système de relations hiérarchique pyramidal à la dimension nationale explicite. La boxe relie les trois piliers de la Thaïlande (le roi, la communauté des moines bouddhistes et la nation).

Eurasie : D’autres éléments légitiment cette violence ?

Stéphane Rennesson : L’aspect artistique, avec la présence de la musique. Il y a quatre instruments de musique : deux percussions (khong), une sorte de flute (phijawa) et des cymbales (ching). C’est donc à la fois un sport et un art. Les Thaïlandais insistent beaucoup là dessus.

Eurasie : Depuis quand est-ce un sport ?

Stéphane Rennesson : La boxe thaï s’est développée parallèlement à la boxe anglaise. Les règles de Queensbury (à l’origine de la boxe anglaise moderne) sont établies à la fin du XIXe siècle, celles de la boxe thaï commencent vers 1920 à ressembler à celles appliquées de manière internationale : un ring fermé, des rounds, un temps limité, les points, les gants.

Eurasie : Boxaient-ils avant cela poings nus ?

Stéphane Rennesson : Parfois, ils s’enroulaient les poings avec des cordes de chanvre qu’ils trempaient dans la colle de riz pour les rendre dures et abrasives. Certains combats s’arrêtaient à la première effusion de sang. Ils ne trempaient probablement pas les poings dans du verre pilé comme on a pu le voir dans certains films ou alors à de très rares occasions...

Figure de Muay Boran

Une parade (hak kuu erawan) de muay boran, un art martial qui aurait été développé dans le nord-est de la Thaïlande. Il a largement été utilisé dans le film Ong Bak.
Eurasie : En parlant de cinéma, qu’avez-vous pensé du film thaï Ong Bak ? (Sujet du film : Un jeune provincial utilise un art martial thaï ancien pour déjouer un trafic de statues de Bouddha)

Stéphane Rennesson : L’aspect intéressant du film est qu’il montre une revanche sur la vie. Il faut savoir que les boxeurs contemporains sont soit des ouvriers agricoles soit des paysans. Leurs victoires leur apportent un certain prestige localement. Cela leur permet de renverser dans une certaine mesure les discriminations dont ils font l’objet de la part de la population de la capitale aisée fortement sinisée qui détiennent la clef des médias. L’histoire du jeune héros, Ting qui va récupérer la statue du bouddha protecteur du village, Ong Bak, volée par des maffieux de la capitale, est l’occasion de faire valoir les Issanes (les habitants du nord-est du pays) comme les meilleurs représentants des valeurs thaï, qui n’existeraient plus dans la capitale en voie de modernisation accélérée.

Eurasie : Et que vaut ce film du point de vue sportif ?

Stéphane Rennesson : C’est tout sauf de la boxe thaï moderne. Cela ressemble essentiellement au muay boran qui aurait été développé dans le nord-est de la Thaïlande. Le style pugilistique dans le film fait également des emprunts aux arts martiaux chinois, au panjak silat à la capoeira, cet art du combat brésilien. Ces arts martiaux sont actuellement davantage axés sur le style que sur le contact. Le muay boran a sûrement été retenu dans Ong Bak pour sa beauté chorégraphique.

Eurasie : On ne retrouve pas cette élégance dans la boxe thaï actuelle ?

Stéphane Rennesson : Il existe une centaine de coups en boxe thaï, en ce qui concerne la forme martiale plusieurs fois centenaire. Combien en utilise t-on aujourd’hui sur un ring ? A peine une quinzaine. Simplement par peur de perdre la « forme », les boxeurs ne tentent pas les mouvements plus difficiles. Maintenant, ils se cristallisent sur les mouvements les plus performants. La boxe thaï d’aujourd’hui est un sport moderne, d’ailleurs ce mot n’a que quelques dizaines d’années. C’est dommage, cela dénature un peu le muay thaï qui est, au départ, un véritable art martial.

Eurasie : Il n’en existe plus de dignes héritiers ?

Stéphane Rennesson : Aujourd’hui il reste un institut Phutai Sawan à côté de Bangkok, qui est une véritable école de muay thai d’Ayyuthaya. On y apprend également le maniement d’armes de guerre telles que des épées, des piques ou des lances.

Eurasie : Quelle est la signification exacte de muay thai ?

Stéphane Rennesson : Muay signifie « rassembler », « ramener », « fermer le poing ». C’est aussi le nom du ruban qui ramène les cheveux en chignon au sommet du crâne. En boxe, c’est fermer son corps pour le rendre solide. Des talismans complètent cette idée de fermeture : l’anneau autour de la tête (mongkon) que portent les boxeurs avant le début du combat et celui autour du bras (prajiat). À ces précautions magico-religieuses s’ajoute un rituel avant le combat : ils s’excusent d’abord auprès de la déesse de la terre, du bruit qu’ils vont faire. Ensuite, les boxeurs passent au-dessus des cordes, pas entre, ça porte malheur. Puis ils exécutent le waikru et le ram wai.
Eurasie : Et que signifie le mot thai ?

Stéphane Rennesson : C’est « être libre ». Car les Thaïlandais soumettaient les autres populations comme esclaves. On retrouve dans cette appellation de la boxe une nouvelle référence à l’idéologie de l’indépendance de la Thaïlande.

Eurasie : Existe t-il un championnat en Thaïlande ?

Stéphane Rennesson : Il n’y a pas de championnat officiel. Les premières fédérations nationales sont apparues à la fin des années 1980, elles ont eu beaucoup de mal à asseoir leur légitimité. Le centre pugilistique est à Bangkok avec les stades de Lumpini et de Rajadamnoen. Au sud de la capitale, il y a aussi le Om Noi, Chong 7 la meilleure promotion de boxe à la télévision, l’Emporium, le Samrong, etc. Qui tient ces pôles de la boxe ? L’armée, la police et quelques groupes bancaires chinois de la capitale. Tous les milieux du business investissent de l’argent dans la boxe, et les alliances changent souvent.

Eurasie : Comment s’opère le lien entre Bangkok et l’extérieur ?

Stéphane Rennesson : Il y a une trentaine de chefs de camp à Bangkok. Ces camps sont des réceptacles de boxeurs de province : leurs chefs ont notamment des relations avec les chefs de camp de province. Ils ont ainsi des réseaux qui convergent vers la capitale. Lors des compétitions, les promoteurs avec les chefs de camp composent les combats de boxeurs peu connus au dernier moment, les combats entre grands noms sont constitués à l’avance. Il y a un peu tout le temps des petites compétitions dans le sud et dans le nord-est, les deux grandes régions de la boxe.

Eurasie : Des championnats ?

Stéphane Rennesson : Pas vraiment. En fait, les gamins commencent à boxer à partir de 7-8 ans dans des compétitions organisées par des figures locales (policiers, militaires, businessmen) qui veulent promouvoir leurs intérêts. Il y a des compétitions toute l’année, notamment à l’occasion de quelques fêtes. Par exemple, dans la seule province de Khon Kaen de mars à juin, saison sèche et période où se concentre une grande part des réjouissances villageoises, il y a presque une compétition par jour ! Pendant la période de retraite des moines, de juillet à septembre, il y en a moins car le moment invite plus à la piété religieuse qu’au divertissement et le calendrier agricole fait que les enfants sont réquisitionnés pour aller repiquer puis surveiller le riz.

Eurasie : Ce sont des compétitions en tant que telles ?

Stéphane Rennesson : Souvent la boxe fait partie de la fête au même titre que le likay (sorte de théâtre chanté) et autres spectacles, que le notable finance pour « se faire un nom » (pai ha cheu). Les hommes des environs, entraînés ou non peuvent se défier virilement sur le ring pour le plus grand plaisir des spectateurs. Il suffit de s’entendre avec les promoteurs dès la matinée de pesée durant laquelle sont composés les combats. Il existe par ailleurs des manifestations de boxe hors cadre festif traditionnel. Ces programmes, contrairement à ceux que nous venons d’évoquer, ne mettent en compétition que des boxeurs professionnels, c’est-à-dire qui s’entraînent régulièrement dans un camp.

Eurasie : Il y a de grands stades hors de Bangkok ?

Stéphane Rennesson : Oui, dans le Nord-Est par exemple, il existe des stades permanents à Buriram, Roi Et, Maha Sarakham, Kalasin, Yasothon notamment. Ils sont sponsorisés par des businessmen locaux. Quand un champion d’un de ces stades de province se fait connaître, on le contacte pour qu’il passe à Bangkok. Tout est assez informel. Un jeune boxeur prometteur peut être racheté par un camp de la capitale. En résumé, la logique commerciale a son importance dans le fonctionnement des réseaux.

Eurasie : Vraiment ?

Stéphane Rennesson : Les meilleurs boxeurs ne sont pas ceux qui passent à la TV. Ceux-là viennent surtout pour se faire connaître. La vraie boxe se fait entre connaisseurs, loin des caméras au Lumpini, au Rajadamnoen mais aussi à Chiang Mai, Chonburi ou Nakhon Sri Thammarat entre autres.

Eurasie : Comment sont organisées les compétitions et comment se font les classements au plus haut niveau ?

Stéphane Rennesson : C’est le bazar organisé le plus total dans le monde de la promotion. Chaque stade à son classement. Si un promoteur est fâché avec un autre, il peut refuser que son n°1 (dans le classement des différentes catégories de poids d’un stade donné) et le n°4 d’un autre se rencontrent. Par ailleurs une règle (écrite seulement depuis 2 ou 3 ans) interdit à un boxeur d’en combattre un autre de la même filière ou du même camp. La justification ? Quand un boxeur connaît son adversaire, il n’a pas envie de le taper. Plus prosaïquement, c’est l’intérêt commercial qui prévaut. Le critère de base : il ne faut pas que deux gosses aient été entraînés ensemble, le spectacle est moins prenant pour les spectateurs. Cela entraîne toujours des controverses : deux boxeurs qui viennent du même village, du même camp, peuvent être accusés de ne pas vraiment vouloir se taper.

Eurasie : Y a-t-il toujours des litiges sur le verdict de l’arbitre ?

Stéphane Rennesson : En tout cas, ces verdicts ne font jamais vraiment l’objet d’un consensus de l’ensemble du monde de la promotion. Mais surtout, sur ces critères des promoteurs peuvent émettre des refus sur des combats entre boxeurs pour éviter une probable défaite de leur poulain ou au contraire pour éviter de favoriser celui d’un promoteur adverse. Il existe relativement peu de compétitions entre les meilleurs boxeurs des différents grands stades. Le classement supra-stades, national donc souffre des même ambiguïtés avec encore plus d’évidence. Toujours est-il, tous les boxeurs, aussi bons soient-ils, ne peuvent pas tous potentiellement se rencontrer pour se disputer les premières places. Difficile dans ces cas là d’établir des classements sportifs et rationnels. Les tentatives de formalisation récentes continuent à se heurter aux habitudes clientélistes.

Eurasie : Les Thaïs ne cherchent-ils pas à imposer le muay thai aux Jeux Olympiques ?

Stéphane Rennesson : Si ! Ca serait le moyen pour le pays d’accéder à une reconnaissance internationale tant désirée. Le but minimum : faire passer la boxe thaï amateur en démonstration aux J.O. comme l’est le panjak silat. Les Thaïlandais ont mis leurs généraux sur le coup : l’antenne thaï du Comité International Olympique est située dans les locaux de l’armée de terre. Il y a un département spécifique avec un général dont le seul travail est de faire entrer la boxe thaï au CIO !

Eurasie : Quel est le rapport entre les religieux et la boxe thaï ?

Stéphane Rennesson : Dans les discours, on m’a dit que jadis les formateurs de boxe thaï étaient des moines. Notamment dans le sud, à Surat Thani, à Chai Ya, deux ou trois moines se sont succédés à la tête d’un camp de boxe, dont au moins un avait des compétences pugilistiques. Dans le nord-est, toutes les transmissions de savoirs se faisaient dans les temples bouddhistes, on peut imaginer qu’ils enseignaient aussi la boxe. Il est possible qu’ils l’aient transmis à des laïcs. Les hommes se formaient comme ça, dans les monastères : savoirs ésotériques et techniques.

Eurasie : Et aux yeux de la loi ?

Stéphane Rennesson : Au début du siècle, par le Sangha Act (1905), le roi a édicté que les moines ne devaient plus avoir des activités qui ne sont pas directement liées à leur vocation religieuse. Ainsi les moines ne devaient plus s’adonner à des pratiques violentes : c’était aussi un gage de civilisation par rapport aux colonisateurs (France, Royaume-Uni) qui menaçaient alors l’indépendance du royaume. La sportivisation de la boxe thaï a aussi participé de cet effort. Aujourd’hui on dit que les moines n’ont rien à voir avec la boxe. Dans la pratique, ils créent parfois des camps de boxe. Il arrive même que ces propriétaires de camp participent plus ou moins à l’entraînement : certains d’entre eux ont un passé de boxeur avant d’être entré dans les ordres. Beaucoup de compétitions locales se déroulent dans l’enceinte des pagodes. Difficile dans ce cas de demander aux moines de ne pas profiter du spectacle, même de loin !

Eurasie : Quelle a été votre méthode pour enquêter dans le monde de la boxe thaï ?

Stéphane Rennesson : J’ai fait le même chemin que les boxeurs thaï. Par relation, j’ai trouvé un camp de campagne, qui comptait à peine treize boxeurs. Une petite structure qui commençait tout juste. De là, j’ai abouti à Bangkok. Je suis passé dans deux camps intermédiaires. J’ai suivi la même voie que les boxeurs...

Eurasie : C’est-à-dire ?

Stéphane Rennesson : J’ai vécu avec les boxeurs en m’entraînant avec eux. Mon maître de boxe m’a vu arriver, bien propre sur moi, avec mon calepin. Il m’a demandé si je comptais comprendre la boxe thaï en posant des questions et en prenant des photos. Malgré ma réponse affirmative, il m’a dit de revenir le lendemain avec un short...et c’était parti : je suis devenu boxeur ! J’ai gravi les échelons jusqu’à devenir aide-entraîneur. Je me suis ensuite impliqué dans la promotion, l’organisation et le travail d’intermédiaire.

Eurasie : Vous êtes devenu un véritable spécialiste !

Stéphane Rennesson : Vous ne croyez pas si bien dire. Comme j’allais dans beaucoup de camps, je faisais le tour de la région, et les responsables de camp se sont rendus compte que je connaissais plus de boxeurs qu’eux : j’ai parfois aidé des promoteurs de soirées en province pour l’organisation sportive. Et enfin, j’ai un peu fait le parieur. J’ai tâté de tous les aspects de la boxe thaï.
http://www.eurasie.net/webzine/Entretien-avec-Stephane-Rennesson.html

Propos recueillis par Emmanuel Deslouis
Emmanuel Deslouis
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vendredi 22 mai 2009

Une certaine vision de l' Homme

"J'aurai vécu, infime parcelle d'une espèce qui a progressivement, au fil des siècles, couvert la planète de sa présence. Une espèce dont chaque élément souffre, individuellement ou en groupe, sans comprendre que sa souffrance, c'est de lui qu'elle naît,s'épanouit et s'étale à travers le monde. Seule espèce à avoir établi le meurtre au sein d'elle-même, comme seul moyen d'atteindre un bonheur inaccessible. Une espèce dont on manipule les foules avec des mots d'abord, et quand ceux-ci ne suffise pas, avec des armes meurtrières. Une espèce dont chaque élément ne cherche plus à savoir pourquoi il est venu en ce monde, pourquoi les autres y sont aussi, à savoir ce qu'il y fait pourquoi il agit, comment il pense et souffre, et qui se contente,s'il s'en préoccupe parfois, d'explications langagières simplistes, croyant trouver en lui ce qui n'est que le pâle reflet des paroles des autres, les vivants et les morts, la paix du coeur et de la pensée............"

Henri Laborit .